100 célébrités
des Hautes-Pyrénées
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100 célébrités des Hautes-Pyrénées
Il y a 2 noms dans ce répertoire commençant par la lettre H.
HORNER Yvette (1922-2018)
Accordéoniste, pianiste, compositrice et reine du musette
Yvette HORNER, de son vrai nom Yvette Hornère, née le 22 septembre 1922 à Tarbes et décédée le 11 juin 2018 à Courbevoie, à l'âge de 95 ans, est la plus célèbre accordéoniste de France. Fille d’un entrepreneur en bâtiment, elle étudie la musique au Conservatoire de Tarbes puis au Conservatoire de Toulouse et elle remporte son Premier Prix de piano à l’âge de 11 ans. Jeune pianiste surdouée elle est contrainte par sa mère de délaisser le piano au profit de l’accordéon. Après des débuts dans sa région natale, elle monte à Paris pour donner une nouvelle dimension à sa carrière naissante. Elle est l’élève de Robert Bréard. En 1948, elle remporte la Coupe du monde d’accordéon qui fait d’elle une vedette quasiment du jour au lendemain. Deux ans après son sacre mondial elle est lauréate du Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros en 1950, grâce à l’album "Le Jardin secret". En 1952, la société Calor, la marque de fers à repasser, qui sponsorise le Tour de France, lui propose de faire la grande boucle et ainsi d’aller à la rencontre du public en animant sur un podium les arrivées du Tour. Elle bénéficie du soutien et de l’attention indéfectibles de son mari René Droesch, ancien footballeur professionnel aux Girondins de Bordeaux rencontré en 1936, qui la conseille et la cajole. C’est avec son accord qu’elle commence à suivre la caravane du Tour de France à partir de 1952. Et elle devient extrêmement populaire en accompagnant la caravane publicitaire du Tour de France à onze reprises (de 1952 à 1963). Elle jouait sur tout le parcours, coiffée d’un sombrero et assise sur une chaise fixée sur le toit d’une Citroën Traction, aux couleurs de la marque Suze. Elle sera surnommée « Vévette, la femme aux doigts d’Or » dans l’Aubisque et le Tourmalet. Durant sa longue carrière de 70 ans de scène, elle donne plus de 2.000 concerts et réalise quelque 150 disques, dont les ventes ont atteint les 32 millions d’exemplaires. Elle a aussi joué à l’Opéra pour Béjart et de grandes œuvres classiques avec des orchestres symphoniques en Italie et en Angleterre. En 1989, elle participe avec éclat aux cérémonies du Bicentenaire de la Révolution Française, en se produisant avec l’Orchestre National de Jazz dirigé pour la circonstance par Quicy Jones. Et pour son spectacle au Casino de Paris en 1990, c’est Jean-Paul Gaultier qui conçoit ses tenues de scène des plus branchées. En 1995, sort l’album "Yvette Horner et les Cash" où elle joue du rap, du rock, et même du metal. En 1997, elle se produit avec Marcel Azzola et l’Orchestre Philharmonique Européen au Palais des Congrès à Paris et en 1998, c’est le chorégraphe Maurice Béjart qui l’invite pour sa version du ballet Casse-Noisette de Tchaïkovski. Ensuite, en 2001 elle se frotte au free jazz pour le Festival Sons d’Hiver. En 2005, elle publie ses mémoires intitulées "Le Biscuit dans la poche". Elle a également enregistré pour le chanteur anglais Boy George. Elle a collaboré avec de grands noms du classique, comme le pianiste Samson François, ou bien encore l’harmoniciste américain Charlie McCoy avec lequel elle a fait un album de country à Nashville. Elle aura su adapter l’accordéon à de nombreux styles de musique pour en faire l’un des plus beaux instruments. Ce qui lui plaît, c’est d’avoir ainsi mêlé divers styles musicaux. De la rumba camarguaise très festive avec Los Chicos aux chants traditionnels des Pyrénées avec Marcel Amont. Son album Double d’Or sort en 2007. En 2010, avec André Verchuren elle prend part à la tournée « la Plus Grande Guinguette du monde » en succédant à Michel Pruvot. En 2011, elle participe à l’album "Bichon" de Julien Doré et met une dernière touche à la re-sortie de son album Hors Normes - produit à compte d’auteur en 2007 - où figurent Richard Galliano, Didier Lockwood, Lio et Marcel Amont. La pochette est dessinée par Jean-Paul Gaultier, couturier l’ayant plusieurs fois habillée, dont en marinière. À 90 ans, elle sera de retour dans les bacs. Un nouvel album réalisé par Patrick Brugalières, intitulé "Yvette Hors Norme", est édité en mai 2012. « Je ne peux pas me passer de musique. Le soufflet de mon accordéon est comme un battement de mon cœur. J’ai passé ma vie à apprendre et je sais que j’apprendrai jusqu’à mon dernier souffle, en éternelle élève… La Musique, c’est le cœur qui bat. Que ce disque, qui m’est si cher, en soit le témoignage », confiera-t-elle à la sortie de cet opus. Toute sa vie, elle a fait preuve d’une détermination, d’une volonté à toute épreuve et à plus de 90 ans elle gardait encore une image intacte d’icône à la chevelure incandescente, devenue tellement « nationale » dans l’inconscient collectif français. Son parcours a été pour le moins exceptionnel ! Chaque année elle se faisait une joie de venir en vacances à Tarbes pour retrouver sa famille, ses amis et ses racines. Le 17 avril 2002, elle fut promue commandeur de l’Ordre national du Mérite. Nommée officier de l’Ordre national de la Légion d’honneur le 17 décembre 1996, elle est élevée au grade de Commandeur le 22 avril 2011 et décorée le 28 septembre. Elle est aussi citoyenne d’Honneur des villes de Tarbes, de Pau et de Nogent-sur-Marne où un square porte son nom. À Tarbes, le foyer du Théâtre des Nouveautés, réplique de celui de l'Opéra Garnier, porte le nom d’Yvette Horner, inauguré et baptisé le 1er octobre 2004. Les obsèques d'Yvette Horner, décédée le 11 juin 2018 à l'âge de 95 ans, ont eu lieu le 20 juin à la cathédrale Notre-Dame de La Sède à Tarbes, sa ville natale. Elle a été inhumée dans le caveau familial au cimetière Saint-Jean, auprès de son mari et de ses parents. Le mardi 19 juin une première cérémonie avait eu lieu en son honneur. Quelque 200 personnes avaient assisté à la messe qui s'est déroulée à l'église Saint-Roch de Paris, parmi lesquelles l'ancien ministre de la Culture Jack Lang, le couturier Jean-Paul Gaultier, les chanteurs Nicoletta et Michel Orso, le biographe Fabien Lecoeuvre mais aussi Christian Prudhomme, directeur du Tour de France. « Elle n'était pas malade. Elle est morte des suites d'une vie bien remplie » a déclaré son agent Jean-Pierre Brun, qui s'est dit certain qu'elle allait désormais "faire valser les anges au grand bal dans les nuages".
Yvette HORNER, de son vrai nom Yvette Hornère, née le 22 septembre 1922 à Tarbes et décédée le 11 juin 2018 à Courbevoie, à l'âge de 95 ans, est la plus célèbre accordéoniste de France. Fille d’un entrepreneur en bâtiment, elle étudie la musique au Conservatoire de Tarbes puis au Conservatoire de Toulouse et elle remporte son Premier Prix de piano à l’âge de 11 ans. Jeune pianiste surdouée elle est contrainte par sa mère de délaisser le piano au profit de l’accordéon. Après des débuts dans sa région natale, elle monte à Paris pour donner une nouvelle dimension à sa carrière naissante. Elle est l’élève de Robert Bréard. En 1948, elle remporte la Coupe du monde d’accordéon qui fait d’elle une vedette quasiment du jour au lendemain. Deux ans après son sacre mondial elle est lauréate du Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros en 1950, grâce à l’album "Le Jardin secret". En 1952, la société Calor, la marque de fers à repasser, qui sponsorise le Tour de France, lui propose de faire la grande boucle et ainsi d’aller à la rencontre du public en animant sur un podium les arrivées du Tour. Elle bénéficie du soutien et de l’attention indéfectibles de son mari René Droesch, ancien footballeur professionnel aux Girondins de Bordeaux rencontré en 1936, qui la conseille et la cajole. C’est avec son accord qu’elle commence à suivre la caravane du Tour de France à partir de 1952. Et elle devient extrêmement populaire en accompagnant la caravane publicitaire du Tour de France à onze reprises (de 1952 à 1963). Elle jouait sur tout le parcours, coiffée d’un sombrero et assise sur une chaise fixée sur le toit d’une Citroën Traction, aux couleurs de la marque Suze. Elle sera surnommée « Vévette, la femme aux doigts d’Or » dans l’Aubisque et le Tourmalet. Durant sa longue carrière de 70 ans de scène, elle donne plus de 2.000 concerts et réalise quelque 150 disques, dont les ventes ont atteint les 32 millions d’exemplaires. Elle a aussi joué à l’Opéra pour Béjart et de grandes œuvres classiques avec des orchestres symphoniques en Italie et en Angleterre. En 1989, elle participe avec éclat aux cérémonies du Bicentenaire de la Révolution Française, en se produisant avec l’Orchestre National de Jazz dirigé pour la circonstance par Quicy Jones. Et pour son spectacle au Casino de Paris en 1990, c’est Jean-Paul Gaultier qui conçoit ses tenues de scène des plus branchées. En 1995, sort l’album "Yvette Horner et les Cash" où elle joue du rap, du rock, et même du metal. En 1997, elle se produit avec Marcel Azzola et l’Orchestre Philharmonique Européen au Palais des Congrès à Paris et en 1998, c’est le chorégraphe Maurice Béjart qui l’invite pour sa version du ballet Casse-Noisette de Tchaïkovski. Ensuite, en 2001 elle se frotte au free jazz pour le Festival Sons d’Hiver. En 2005, elle publie ses mémoires intitulées "Le Biscuit dans la poche". Elle a également enregistré pour le chanteur anglais Boy George. Elle a collaboré avec de grands noms du classique, comme le pianiste Samson François, ou bien encore l’harmoniciste américain Charlie McCoy avec lequel elle a fait un album de country à Nashville. Elle aura su adapter l’accordéon à de nombreux styles de musique pour en faire l’un des plus beaux instruments. Ce qui lui plaît, c’est d’avoir ainsi mêlé divers styles musicaux. De la rumba camarguaise très festive avec Los Chicos aux chants traditionnels des Pyrénées avec Marcel Amont. Son album Double d’Or sort en 2007. En 2010, avec André Verchuren elle prend part à la tournée « la Plus Grande Guinguette du monde » en succédant à Michel Pruvot. En 2011, elle participe à l’album "Bichon" de Julien Doré et met une dernière touche à la re-sortie de son album Hors Normes - produit à compte d’auteur en 2007 - où figurent Richard Galliano, Didier Lockwood, Lio et Marcel Amont. La pochette est dessinée par Jean-Paul Gaultier, couturier l’ayant plusieurs fois habillée, dont en marinière. À 90 ans, elle sera de retour dans les bacs. Un nouvel album réalisé par Patrick Brugalières, intitulé "Yvette Hors Norme", est édité en mai 2012. « Je ne peux pas me passer de musique. Le soufflet de mon accordéon est comme un battement de mon cœur. J’ai passé ma vie à apprendre et je sais que j’apprendrai jusqu’à mon dernier souffle, en éternelle élève… La Musique, c’est le cœur qui bat. Que ce disque, qui m’est si cher, en soit le témoignage », confiera-t-elle à la sortie de cet opus. Toute sa vie, elle a fait preuve d’une détermination, d’une volonté à toute épreuve et à plus de 90 ans elle gardait encore une image intacte d’icône à la chevelure incandescente, devenue tellement « nationale » dans l’inconscient collectif français. Son parcours a été pour le moins exceptionnel ! Chaque année elle se faisait une joie de venir en vacances à Tarbes pour retrouver sa famille, ses amis et ses racines. Le 17 avril 2002, elle fut promue commandeur de l’Ordre national du Mérite. Nommée officier de l’Ordre national de la Légion d’honneur le 17 décembre 1996, elle est élevée au grade de Commandeur le 22 avril 2011 et décorée le 28 septembre. Elle est aussi citoyenne d’Honneur des villes de Tarbes, de Pau et de Nogent-sur-Marne où un square porte son nom. À Tarbes, le foyer du Théâtre des Nouveautés, réplique de celui de l'Opéra Garnier, porte le nom d’Yvette Horner, inauguré et baptisé le 1er octobre 2004. Les obsèques d'Yvette Horner, décédée le 11 juin 2018 à l'âge de 95 ans, ont eu lieu le 20 juin à la cathédrale Notre-Dame de La Sède à Tarbes, sa ville natale. Elle a été inhumée dans le caveau familial au cimetière Saint-Jean, auprès de son mari et de ses parents. Le mardi 19 juin une première cérémonie avait eu lieu en son honneur. Quelque 200 personnes avaient assisté à la messe qui s'est déroulée à l'église Saint-Roch de Paris, parmi lesquelles l'ancien ministre de la Culture Jack Lang, le couturier Jean-Paul Gaultier, les chanteurs Nicoletta et Michel Orso, le biographe Fabien Lecoeuvre mais aussi Christian Prudhomme, directeur du Tour de France. « Elle n'était pas malade. Elle est morte des suites d'une vie bien remplie » a déclaré son agent Jean-Pierre Brun, qui s'est dit certain qu'elle allait désormais "faire valser les anges au grand bal dans les nuages".
HUGO Victor (1802-1885)
Poète, dramaturge, écrivain, romancier, académicien, venu en cure thermale en 1843 à Cauterets et séjournant une nuit en pays Toy
Victor HUGO, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris, à l’âge de 83 ans. Il est considéré comme l'un des plus importants écrivains de langue française. Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a joué un rôle majeur dans l'histoire du XIXe siècle. En 1833, il rencontre la comédienne Juliette Drouet, qui devient sa maîtresse. Tous les ans, Hugo accomplit un séjour d'un mois dans une région française ou un pays d'Europe, en compagnie de son amante Juliette Drouet. De chacune de ses escapades il rapporte dessins, peintures et notes et envoie des courriers aux êtres chers : à sa femme Adèle, sa fille Léopoldine, ses amis Alfred de Vigny et Louis Boulanger. Après le voyage effectué en 1840 dans la vallée du Rhin avec Juliette Drouet, à 41 ans il décide de se rendre incognito dans le Sud-Ouest et en Espagne pour une nouvelle escapade amoureuse en sa compagnie. Surmené et aspirant à une diversion, il part en diligence le 18 juillet 1843 pour les Pyrénées et doit gagner Cauterets pour suivre une cure thermale. Le 20 juillet, après 36 heures de diligence, il atteint Bordeaux où commence son journal de voyage, puis se dirige à Bayonne. Il visite Biarritz qui commence à être à la mode. Le 28 juillet, il est à Saint-Sébastien qu’il quitte le 2 août pour s’installer une semaine à Pasages, entre mer et montagne. Par Hernani et Tolosa, il gagne Pampelune. Franchissant à nouveau la frontière française, il revient à Bayonne. De là, il se rend à Pau puis s’installe pour une quinzaine de jours à Cauterets dans les Hautes-Pyrénées pour y prendre les eaux et y vivre des amours secrètes. Comme tout curiste, il fait quelques excursions et flâne dans les environs de Cauterets, au lac de Gaube, sur les bords du gave du Marcadau, puis à Gavarnie, à Luz-Saint-Sauveur ... En chemin, prenant des notes, voici ce qu’il écrit sur chacune de ses visites et excursions dans les hautes vallées de Cauterets et du pays Toy. D’abord cette lettre adressée à Louis Boulanger sur Cauterets. « Je vous écris, cher Louis, avec les plus mauvais yeux du monde. Vous écrire pourtant est une douce et vieille habitude que je ne veux pas perdre. Je ne veux pas laisser tomber une seule pierre de notre amitié. Voilà vingt ans bientôt que nous sommes frères, frères par le cœur, frères par la pensée. Nous voyons la création avec les mêmes yeux, nous voyons l’art avec le même esprit. Vous aimez Dante comme j’aime Raphaël. Nous avons traversé ensemble bien des jours de lutte et d’épreuve sans faiblir dans notre sympathie, sans reculer d’un pas dans notre dévouement. Restons donc jusqu’au dernier jour ce que nous avons été dès le premier. Ne changeons rien à ce qui a été si bon et si doux. À Paris, serrons-nous la main ; absents, écrivons-nous. J’ai besoin quand je suis loin de vous qu’une lettre vous aille dire quelque chose de ce que je vois, de ce que je pense, de ce que je sens. Cette fois elle sera plus courte, c’est-à-dire moins longue qu’à l’ordinaire. Mes yeux me forcent à ménager les vôtres. Ne vous plaignez pas, vous aurez moins de grimoire et autant d’amitié. Je viens de la mer et je suis dans la montagne. Ce n’est, pour ainsi dire, pas changer d’émotion. Les montagnes et la mer parlent au même côté de l’esprit. Si vous étiez ici (je ne puis m’empêcher de faire constamment ce rêve), quelle vie charmante nous mènerions ensemble ! quels tableaux vous remporteriez dans votre pensée pour les rendre ensuite à l’art plus beaux encore que la nature ne vous les aurait donnés ! Figurez-vous, Louis, que je me lève tous les jours à quatre heures du matin, et qu’à cette heure sombre et claire tout à la fois je m’en vais dans la montagne. Je marche le long d’un torrent, je m’enfonce dans une gorge la plus sauvage qu’il y ait, et, sous prétexte de me tremper dans de l’eau chaude et de boire du soufre, j’ai tous les jours un spectacle nouveau, inattendu et merveilleux. Hier, la nuit avait été pluvieuse, l’air était froid, les sapins mouillés étaient plus noirs qu’à l’ordinaire, les brumes montaient de toutes parts des ravins comme les fumées des fêlures d’une solfatare ; un bruit hideux et terrible sortait des ténèbres, en bas, dans le précipice, sous mes pieds ; c’était le cri de rage du torrent caché par le brouillard. Je ne sais quoi de vague, de surnaturel et d’impossible se mêlait au paysage ; tout était ténébreux et comme pensif autour de moi ; les spectres immenses des montagnes m’apparaissaient par les trous des nuées comme à travers des linceuls déchirés. Le crépuscule n’éclairait rien ; seulement, par une crevasse au-dessus de ma tête, j’apercevais au loin dans l’infini un coin du ciel bleu, pâle, glacé, lugubre et éclatant ; tout ce que je distinguais de la terre, rochers, forêts, prairies, glaciers, se mouvait pêle-mêle dans les vapeurs et semblait fuir, emporté par le vent à travers l’espace dans un gigantesque réseau de nuages. Ce matin, la nuit avait été sereine. Le ciel était étoilé ; mais quel ciel et quelles étoiles ! vous savez, cette fraîcheur, cette grâce, cette transparence mélancolique et inexprimable du matin, les étoiles claires sur le ciel blanc, une voûte de cristal semée de diamants. À cette voûte lumineuse s’appuyaient de toutes parts les énormes montagnes, noires, velues, difformes. Celles de l’orient découpaient à leur sommet sur le plus vif de l’aube leurs sapins qui ressemblaient à ces feuilles dont les pucerons ne laissent que les fibres et font une dentelle. Celles de l’occident, noires à leur base et dans presque toute leur hauteur, avaient à leur cime une clarté rose. Pas un nuage, pas une vapeur. Une vie obscure et charmante animait le flanc ténébreux des montagnes ; on y distinguait l’herbe, les fleurs, les pierres, les bruyères, dans une sorte de fourmillement doux et joyeux. Le bruit du gave n’avait plus rien d’horrible ; c’était un grand murmure mêlé à ce grand silence. Aucune pensée triste, aucune anxiété ne sortait de cet ensemble plein d’harmonie. Toute la vallée était comme une urne immense où le ciel, pendant les heures sacrées de l’aube, versait la paix des sphères et le rayonnement des constellations. Il me semble, mon ami, que ces choses-là sont plus que des paysages. C’est la nature entrevue à de certains moments mystérieux où tout semble rêver, j’ai presque dit penser, où l’arbre, le rocher, le nuage et le buisson vivent plus visiblement qu’à d’autres heures et semblent tressaillir du sourd battement de la vie universelle. Vision étrange et qui pour moi est bien près d’être une réalité, aux instants où les yeux de l’homme sont fermés, quelque chose d’inconnu apparaît dans la création. Ne le voyez-vous pas comme moi ? Ne dirait-on pas qu’aux moments du sommeil, quand la pensée cesse dans l’homme, elle commence dans la nature ? Est-ce que le calme est plus profond, le silence plus absolu, la solitude plus complète, et qu’alors le rêveur qui veille peut mieux saisir, dans ses détails subtils et merveilleux, le fait extraordinaire de la création ? ou bien y a-t-il en effet quelque révélation, quelque manifestation de la grande intelligence entrant en communication avec le grand tout, quelque attitude nouvelle de la nature ? La nature se sent-elle mieux à l’aise quand nous ne sommes pas là ? se déploie-t-elle plus librement ? Il est certain qu’en apparence du moins, il y a pour les objets que nous nommons inanimés une vie crépusculaire et une vie nocturne. Cette vie n’est peut-être que dans notre esprit ; les réalités sensibles se présentent à nous à de certaines heures sous un aspect inusité ; elles nous émeuvent ; il s’en fait un mirage au dedans de nous, et nous prenons les idées nouvelles qu’elles nous suggèrent pour une vie nouvelle qu’elles ont. Voilà les questions. Décidez. Quant à moi, je me borne à rêver. Je voue mon esprit à contempler le monde et à étudier le mystère. Je passe ma vie entre un point d’admiration et un point d’interrogation. » Cauterets, le 26 août 1843. « — La vallée est paisible, l’escarpement est silencieux. Le vent se tait. Tout à coup, à un coude de la montagne, le gave apparaît. C’est le bruit d’une mêlée, c’en est l’aspect. Les combattants hurlent de rage et l’on croit voir voler les projectiles. — On s’approche. — De larges entonnoirs forment de grandes cuves où l’eau saute et bout, couverte d’écume comme dans une marmite énorme chauffée à un feu qui ne s’éteint jamais. Des souches d’arbres monstrueuses, des racines hideuses, décharnées et difformes, roulent dans le torrent comme des carcasses d’hydres. — L’horrible est là partout. » Durant sa cure, sur son temps libre, Hugo se rend au Lac de Gaube, dont il écrit : « — Treize cents pieds. Notre vieille Notre-Dame s’y entasserait six fois sur elle-même avant que la haute balustrade de ses tours parvînt à la surface de l’eau. On y plongerait la grande pyramide, on poserait sur Chéops le Munster de Strasbourg et sur le Munster la flèche d’Anvers que c’est à peine si l’extrémité de la flèche d’Anvers surgirait au-dessus du lac comme la pointe du mât d’un vaisseau naufragé. Vallée très sauvage. Forêt de pins écrasée par une montagne écroulée. Arbres étêtés, arbres morts. Ici les années, les coups de tonnerre et les avalanches sont les seuls bûcherons. Le lac à 4 heures de l’après-midi — Une flaque d’eau la plus verte, la plus gracieuse, la plus jolie, la plus gaie, entourée de rochers hideux, mâchés, déformés, ruinés, terribles. Au fond, les neiges du Vignemale, la plus haute montagne française, font un immense Y renversé sur l’orient. Au bord, une transparence sous laquelle on voit les granits, mais qui s’enfonce rapidement. Les grandes ombres du rocher tombent sur l’escarpement occidental comme des ombres de créneaux. Au premier plan. — Une cabane où l’on boit du kirsch, une cage pleine de poules ; canards ; rocher qui fait une petite presqu’île. On y voit une espèce de tombeau en marbre blanc entouré d’une grille. Ce sont des anglais qui se sont noyés ici et dont voici l’épitaphe : " à la mémoire de William Henry Pattison, écuyer, avocat de Lincoln’s Inn, à Londres, et de Sarah Frences, son épouse, âgés l’un de 31 ans et l’autre de 26 ans, mariés depuis un mois seulement. Un accident affreux les enleva à leurs parents et à leurs amis inconsolables. Ils furent engloutis dans ce lac le 20 septembre 1832. Leurs restes transportés en Angleterre reposent à Wilham dans le comté d’Essex. " (En effet, les Pattison qui venaient de se marier (le 22 août) empruntèrent une barque le 20 septembre 1832. Malheureusement, l’embarcation chavira, emportant dans les flots le jeune couple — Ce monument fut détruit par les troupes d’occupation le jour du débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944, et de nos jours, plus rien ne rappelle la trace du monument Pattison, dont l’emplacement est indiqué par une croix). Eau glaciale. Qui y tombe y meurt. Depuis quatre-vingt-dix ans que le vieux pêcheur était là, il n’avait vu personne assez hardi pour s’y baigner. Il en coûte trois sous par personne pour entrer dans l’enclos du tombeau. J’y ai cueilli des cinéraires dans le granit en surplomb sur le lac. J’ai glissé et failli tomber dans l’eau. Cela eût fait une deuxième tombe. On eût pris six sous. » Hugo flâne aussi sur les bords du gave du Marcadau et note ce témoignage : « Immense éboulement. Les pierres éparses ont roulé jusque dans le gave. Elles ont encore tout le désordre de la chute. On les croirait tombées d’hier si elles n’étaient rongées de lichens. L’une d’elles, la plus grosse, est fendue par le milieu. Un pâtre rêve dans ces rochers au bruit de cette nature en tumulte. Les chèvres bêlent et pendent. Je prends une grosse sauterelle verte qui se laisse faire. Puis je la pose sur le rocher, elle reste à la place où je l’ai mise. Un lézard sort d’une fente. La sauterelle et le lézard se regardent. Le lézard s’approche. La sauterelle s’envole comme un oiseau et va tomber au loin dans les grandes herbes. Je passe le pont de bois au confluent des deux gaves du Marcadau et du Lutour. Une odeur de soufre sort du torrent. Ici il est effrayant. C’est un écroulement de neige liquide. Bruit furieux. Sur les côtés les fleurs croissent en foule ; de petits bras du torrent font sur de petits blocs des cascades microscopiques. Il y a de petits bassins tranquilles avec fond de cailloux qu’on dirait arrangés par un enfant pour son jardin. Un rayon de soleil passe à travers les nuages et fait de chaque goutte d’eau une étincelle. — Belles flaques vertes. Tous les verts. Vert-clair, vert-noir. Les granits et les marbres tachés de rose qu’on aperçoit à travers l’eau glauque veinée de lumière ressemblent à des agates gigantesques. Je suis sorti par un soleil ardent, et voici qu’un nuage gris et lourd envahit tout le ciel. Il va pleuvoir. Je me réfugie sous la porte des bains du pré. Une vieille femme qui tricote me voit entrer en grondant. Figure délabrée et hideuse misère ; visage en guenilles sous une cape en haillons. Voyant que je m’obstine à rester et que j’ai pris une chaise, elle se lève, se traîne appuyée sur deux bâtons vers un couloir obscur, et s’en va. — Je cueille dans une tente du mur extérieur une belle fleur jaune qui a la forme de la tulipe et l’odeur de l’abricot. L’orage approche. De larges et sonores gouttes de pluie tombent sur les arbres et les rochers. Un éclair. Coup de tonnerre. Un coup de tonnerre dans ces gorges n’est plus un coup de tonnerre ; c’est un coup de pistolet, mais un coup de pistolet monstrueux qui éclate dans la nuée, tombe sur le sommet le plus voisin, et rebondit de montagne en montagne avec un bruit sec, sinistre et formidable. — Voici qu’il pleut affreusement. Toute autre chose que la nuée et la pluie a disparu. C’est une sorte de nuit blafarde entrecoupée d’éclairs dans laquelle on n’entend plus que deux rugissements ; le torrent qui hurle sans cesse et le tonnerre qui gronde par instants. Je rêvais à ce double bruit, et je me disais : le torrent ressemble à la rage et le tonnerre à la colère. » Le 23 août 1843 à 3 heures. « — Après deux heures de montée, immense prairie avec deux ou trois pauvres cabanes dont les jardins ont quelque maigre salade et des enclos de marbre. À droite un torrent. Devant moi un énorme bloc de marbre blanc et une vieille souche desséchée. Autour de moi des montagnes magnifiques. Les rayons du soleil y découpent de larges scies de lumière et d’ombre. Petits lacs de neige près du ciel dans les anfractuosités. D’immenses glissements d’ardoises étincellent là-bas au soleil autrement que de l’eau, autrement que de la glace. C’est comme le dos d’un énorme dragon. Larges pans de sombre et de clair. Plans immenses et simples. Quatre montagnes emplissent l’horizon. Rien qu’une herbe courte et rare et quelques bruyères. Cela fait pourtant une gigantesque housse de verdure qui couvre les monts jusqu’à l’endroit où les cols se dressent. Le torrent coule à plat et presque paisible au fond du ravin. Aucun bruit. Aucune voix. Ciel bleu. Calme profond. Solitude absolue. Je n’ai rien vu encore de plus beau et de plus grand dans les Pyrénées. » Le 24 août 1843. « — Deux torrents forment l’Y. Sur cet Y un pont circulaire à triple articulation, en sapins jetés de rochers en rochers. Sur le premier gave quatre autres ponts aux quatre étages de la montagne formés de troncs d’arbres. Écroulement de rochers. Torrent d’eau sur un torrent de pierres. 1er pont. Sapins desséchés avec leurs branches brisées court pouvant servir de mâts de perroquet aux ours. Dans un de ces sapins qui est creux, on a fait du feu. C’est encore une assez large cheminée. Des lichens chevelus vivent sur ces squelettes. Végétation à plusieurs couches. Toutes les fleurs de la montagne. Eau verte et paisible dans une anse au-dessous de la chute avec des sapins morts qui pendent dessus. 2e pont. Deux murailles noires. La lumière s’accroche aux saillies et y fait de petites terrasses éclatantes couvertes d’herbes et de fleurs. L’eau est lumineuse, la lumière est mouillée. Entre les deux murs noirs, le gave blanc. Au fond une cascade à quatre étages. Arbres coupés par les bûcherons. Forêt. Monts immenses au-dessous. 3e pont. Autre cascade. Arc-en-ciel. La chute tombe sur un plateau, puis se rue dans le gouffre. J’y descends en me tenant aux racines des arbres jusque sur un rocher qui avance. Le pont est au-dessus de ma tête. Le rocher qui reçoit le rejaillissement de la chute est troué comme une éponge. Brume et pluie. Je remonte. Les branches pourries cassent aisément. » Puis Victor Hugo, succomba bien évidemment au charme de Gavarnie en pays Toy, dont il fit la renommée dans ses carnets et son poème inachevé « Dieu » en décrivant ainsi le cirque : « Lorsqu’on a passé le pont des Dourroucats et qu’on n’est plus qu’à un quart d’heure de Gèdre, deux montagnes s’écartent tout à coup et, de quelque façon que vous préoccupe l’approche de Gavarnie, vous découvrent une chose inattendue. Vous avez visité peut-être les Alpes, les Andes, les Cordillères ; vous avez depuis quelques semaines les Pyrénées sous les yeux ; quoi que vous ayez pu voir, ce que vous apercevez maintenant ne ressemble à rien de ce que vous avez rencontré ailleurs. Jusqu’ici vous avez vu des montagnes ; vous avez contemplé des excroissances de toutes formes, de toutes hauteurs ; vous avez exploré des croupes vertes, des pentes de gneiss, de marbre ou de schiste, des précipices, des sommets arrondis ou dentelés, des glaciers, des forêts de sapins mêlées à des nuages, des aiguilles de granit, des aiguilles de glace ; mais, je le répète, vous n’avez vu nulle part ce que vous voyez en ce moment à l’horizon. Au milieu des courbes capricieuses des montagnes hérissées d’angles obtus et d’angles aigus, apparaissent brusquement des lignes droites, simples, calmes, horizontales ou verticales, parallèles ou se coupant à angles droits, et combinées de telle sorte que de leur ensemble résulte la figure éclatante, réelle, pénétrée d’azur et de soleil, d’un objet impossible et extraordinaire. Est-ce une montagne ? Mais quelle montagne a-t-elle jamais présenté ces surfaces rectilignes, ces plans réguliers, ces parallélismes rigoureux, ces symétries étranges, cet aspect géométrique ? Est-ce une muraille ? Voici des tours en effet qui la contrebutent et l’appuient, voici des créneaux, voilà les corniches, les architraves, les assises et les pierres que le regard distingue et pourrait presque compter, voilà deux brèches taillées à vif et qui éveillent dans l’esprit des idées de sièges, de tranchées et d’assauts ; mais voilà aussi des neiges, de larges bandes de neige posées sur ces assises, sur ces créneaux, sur ces architraves et sur ces tours ; nous sommes au cœur de l’été et du midi ; ce sont donc des neiges éternelles ; or, quelle muraille, quelle architecture humaine s’est jamais élevée jusqu’au niveau effrayant des neiges éternelles ? Babel, l’effort du genre humain tout entier, s’est affaissée sur elle-même avant de l’avoir atteint. Qu’est-ce donc que cet objet inexplicable qui ne peut pas être une montagne et qui a la hauteur des montagnes, qui ne peut pas être une muraille et qui a la forme des murailles ? C’est une montagne et une muraille tout à la fois ; c’est l’édifice le plus mystérieux du plus mystérieux des architectes ; c’est le colosseum de la nature ; c’est Gavarnie. Représentez-vous cette silhouette magnifique telle qu’elle se révèle d’abord à une distance de trois lieues : une longue et sombre muraille dont toutes les saillies, toutes les rides sont marquées par des lignes de neige, dont toutes les plates-formes portent des glaciers. Vers le milieu, deux grosses tours ; l’une qui est au levant, carrée et tournant un de ses angles vers la France ; l’autre qui est au couchant, cannelée comme si c’était moins une tour qu’une gerbe de tourelles ; toutes deux couvertes de neige. À droite, deux profondes entailles, les brèches, qui découpent dans la muraille comme deux vases qu’emplissent les nuées ; enfin, toujours à droite et à l’extrémité occidentale, une sorte de rebord énorme plissé de mille gradins, qui offre à l’œil, dans des proportions monstrueuses, ce qu’on appellerait en architecture la coupe d’un amphithéâtre. Représentez-vous cela comme je le voyais : la muraille noire, les tours noires ; la neige éclatante, le ciel bleu ; une chose complète enfin, grande jusqu’à l’inouï, sereine jusqu’au sublime. C’est là une impression qui ne ressemble à aucune autre, si singulière et si puissante à la fois qu’elle efface tout le reste, et qu’on devient pour quelques instants, même quand cette vision magique a disparu dans un tournant du chemin, indifférent à tout ce qui n’est pas elle. Le paysage qui vous entoure est cependant admirable ; vous entrez dans une vallée où toutes les magnificences et toutes les grâces vous enveloppent. Des villages en deux étages, comme Tracy-le-Haut et Tracy-le-Bas, Gèdre-Dessus et Gèdre-Dessous, avec leurs pignons en escaliers et leur vieille église des Templiers, se pelotonnent et se déroulent sur le flanc de deux montagnes, le long d’un gave blanc d’écume, sous les touffes gaies et fantasques d’une végétation charmante. Tout cela est vif, ravissant, heureux, exquis ; c’est la Suisse et la Forêt-Noire qui se mêlent brusquement aux Pyrénées. Mille bruits joyeux vous arrivent comme les voix et les paroles de ce doux paysage, chants d’oiseaux, rires d’enfants, murmures du gave, frémissement des feuilles, souffles apaisés du vent. Vous ne voyez rien ; vous n’entendez rien ; à peine percevez-vous de ce gracieux ensemble quelque impression douteuse et confuse. L’apparition de Gavarnie est toujours devant vos yeux, et rayonne dans votre pensée comme ces horizons surnaturels qu’on voit quelquefois au fond des rêves. Le soir, en revenant de Gavarnie, moment admirable. De ma fenêtre : une grande montagne remplit la terre ; un grand nuage remplit le ciel. Entre le nuage et la montagne, une bande mince de ciel crépusculaire, clair, vif, limpide, et Jupiter étincelant, caillou d’or dans un ruisseau d’argent. Rien de plus mélancolique et de plus rassurant et de plus beau que ce petit point de lumière entre ces deux blocs de ténèbres. » Enfin, Victor Hugo ne manqua pas la visite de Luz-Saint-Sauveur et relata : « Luz, charmante vieille ville, — chose rare dans les Pyrénées françaises, — délicieusement située dans une profonde vallée triangulaire. Trois grands rayons de jour y entrent par les trois embrasures des trois montagnes. Quand les miquelets et les contrebandiers espagnols arrivaient d’Aragon par la brèche de Roland et par le noir et hideux sentier de Gavarnie, ils apercevaient tout à coup à l’extrémité de la gorge obscure une grande clarté, comme est la porte d’une cave à ceux qui sont dedans. Ils se hâtaient et trouvaient un gros bourg éclairé de soleil et vivant. Ce bourg, ils l’ont nommé Lumière, Luz. Le Château de Sainte-Marie. J’en ai fait quatre dessins. L’Église bâtie par les Templiers ; rare et curieuse ; forteresse autant qu’église ; enceinte crénelée, porte-donjon. J’ai tourné autour, entre l’église et le mur crénelé. Là est le cimetière, semé de grandes ardoises où des croix et des noms de montagnards creusés avec un clou s’effacent sous la pluie, la neige et les pieds des passants. Porte des cagots, dans le cimetière ; murée ; les goitreux étaient parias. Ils avaient leur porte. Basse, autant qu’on en peut juger par la ligne vague que les pierres qui la murent dessinent. Le bénitier extérieur est un charmant petit tombeau byzantin auquel adhèrent encore deux chapiteaux presque romains. On y cache la clef du cimetière, afin de faire payer les étrangers pour le voir. Car tout se paie. Inscription du tombeau ; illisible, effacée par le temps, rayée au couteau, couverte de poussière. On y distingue quelques mots espagnols. Aqui. Abris. Cependant les mots filla de... semblent indiquer le patois. J’ai à peu près déchiffré la dernière ligne, qui du reste n’a aucun sens : sub desera lo fe. Les corbeaux du mur extérieur de l’abside portent des dessins curieux et charmants. Le portail principal, qui représente Jésus entre les quatre animaux symboliques, est du plus beau roman ; ferme, robuste, puissant, sévère. Restes de peintures sur le mur figurant des mosaïques et des édifices. L’intérieur de l’église est une grange quelconque. Sous la voûte du portail de la tour d’entrée, peintures byzantines, restaurées et à demi blanchies à la chaux ; ont perdu beaucoup de leur caractère. Au haut de la voûte, le Christ, avec la couronne impériale. Au-dessous, les anges du jugement soufflant de leurs trompettes cette inscription : surgite mortvy-venyte-ad-judicium. Aux quatre coins, quelques vestiges des quatre évangélistes. Le bœuf, avec l’inscription sant-luc. L’aigle, avec sant… La moisissure a fait une nuée où le reste se perd. Le lion ailé, d’un beau style, avec l’inscription sant-marc. Dans l’ombre, une tête d’ange avec ce reste de légende : … cte mychael. » La cure à Cauterets terminée, Victor Hugo reprend le chemin du retour : Auch, Agen, Périgueux, Cognac, Saintes et Rochefort. Mais ce voyage aux Pyrénées aura une fin tragique : car c’est à Rochefort que, lisant un journal abandonné dans un café, il apprend la noyade quelques jours plus tôt à Villequier de sa fille adorée Léopoldine et de son mari. L'écrivain sera terriblement affecté par cette mort, qui lui inspirera plusieurs poèmes — Les Contemplations (1856) — notamment, « Demain, dès l'aube… ». À partir de cette date et jusqu'à son exil, Victor Hugo ne produira plus rien, ni théâtre, ni roman, ni poème. Et le journal de Voyage aux Pyrénées s’arrête (il ne sera édité que des années plus tard). La vie du poète, son inspiration ne seront plus les mêmes. Le Voyage aux Pyrénées (1843) a été écrit, au fur et à mesure, dans les lieux mêmes qu'il dépeint, mais sur des pages d'album que Hugo conservait par devers lui. Cette publication s’accompagne de croquis exécutés sur place qui complètent et éclairent le texte. Hugo enregistre ce qu’il voit, crayonne, note sur ces carnets quelques vers qui lui permettront au retour de ressusciter, en prose ou dans quelques poèmes, ses impressions de voyage. Il demande à Juliette de collaborer avec lui. Elle tient son journal de voyage. Ces pages apportent à la littérature pyrénéenne une contribution utile par ce qu’elles ont de vivant et de profondément humain. À sa parution à la fin du XIXe siècle, l'édition posthume du « Voyage vers les Pyrénées » suscite l'admiration et l'enthousiasme. Rédigé sans apprêt, comme un reportage, ce journal de voyage est aussi une chronique d'un voyage intérieur. De retour à Paris, Victor Hugo, après la catastrophe qui avait interrompu si douloureusement son voyage, ne trouva jamais le courage de reprendre et de terminer son récit, initialement destiné à être publié. Ce dernier le sera à titre posthume, en 1890, cinq ans après son décès, signe de la blessure vivace dans le cœur de Victor Hugo toute sa vie durant. C’est après le coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III), en 1851, que Victor Hugo sera contraint à l'exil. Déguisé, il gagnera Bruxelles en train. Mais son pamphlet Napoléon le Petit le rendra persona non grata en Belgique et l'obligera à quitter le continent... Hugo débarquera sur l'île de Jersey en août 1852. Le Voyage aux Pyrénées est un carnet de voyage, une pièce de commande pour laquelle il avait reçu une avance d’un éditeur, et pour lequel il décrivait, sur place, ce qui le frappait le plus. Atteignant Lourdes à bord de la diligence Dotézac, qui doit le mener à Cauterets pour prendre les eaux et soulager ses rhumatismes, il avait noté : « Lourdes. — Arrivée magique. Magnifique donjon du treizième siècle sur un rocher. Le gave d’un côté, la ville de l’autre. Au fond les montagnes, hautes, abruptes, coupées de tranchées profondes d’où montent les brumes, le vent, le bruit. À Lourdes commence la grande gorge des hautes Pyrénées qui s’épanouit à Vidalos, s’écarte et se divise en quatre ravins, et forme cette immense patte d’oie dont le centre est Argelès et dont les quatre ongles vont atteindre à l’occident Arbéost par la vallée d’Estrem de Salle et Aucun par le val d’Azun, au milieu Cauterets par le détroit de Pierrefitte, et au levant Barèges par le défilé de Luz. — La gorge de Lourdes à Argelès en est pour ainsi dire le manche. Comme le bras de cette main ouverte. Lourdes est la porte des Hautes-Pyrénées. En 1755 elle ressentit le contrecoup du tremblement de terre de Lisbonne. Le réseau central des Pyrénées était gardé au Moyen Âge. Chaque articulation des vallées avait son château qui apercevait les deux châteaux des deux vallées voisines, et correspondait avec eux par des feux. On en voit aujourd’hui les ruines qui ajoutent un immense intérêt au paysage ; rien de plus poignant que les ruines de l’homme mêlées aux ruines de la nature. Le donjon de Lourdes voyait les trois tourelles du château de Pau qui apercevait la tour carrée de Vidalos, laquelle pouvait communiquer par des signaux avec l’antique Castrum Emilianum bâti par les Romains et relevé par Charlemagne sur la colline de Saint-Savin, qui se rattachait à travers les montagnes à la forteresse féodale de Beaucens. Les signaux s’enfonçaient ainsi de tours en tours dans la vallée de Luz jusqu’au château Sainte-Marie, dans la vallée de Gavarnie jusqu’à la citadelle des Templiers. Les châtelains des Pyrénées comme les burgraves du Rhin s’avertissaient les uns les autres. En quelques heures les bailliages étaient sur pied, la montagne était en feu. Les paysans, chose remarquable et toute locale, ne haïssaient pas ces châteaux. Ils avaient le sentiment que ces forteresses, tout en les dominant, en les opprimant même, protégeaient la frontière. C’est le peuple des montagnes qui a donné à l’un de ces châteaux près du col d’Ossau le nom de Bon-Château qu’il garde encore : Castelloubon. » Tous ces lieux et ces endroits traversés furent pour Victor Hugo, qui disait s’appeler M. Go et portait un chapeau pour ne pas être reconnu, source d’inspiration mais aussi l’occasion de plonger dans son passé et de retrouver ses impressions d'enfance. Sylvie Blotnikas a adapté et mis en scène ce récit de voyage vers les Pyrénées que Julien Rochefort, fils de Jean Rochefort, délivre d’un souffle, en osmose avec le poète qu’il fait revivre. Pour la première fois, ce récit de voyage de Victor Hugo est adapté au théâtre. Le comédien Julien Rochefort livre de ce texte une interprétation pleine de douceur, de délicatesse, rehaussée par un subtil travail de lumière qui agit comme une évocation subliminale des paysages traversés. On se laisse aller avec délice à la lenteur du voyage en malle-poste, à cheval, à pied… Au fil de ce texte d’une beauté magistrale, empreint de profondeur philosophique mais aussi de distance comique, Hugo alterne évocations des petites gens, des horizons marins, de la montagne toujours, laissant vagabonder ses pensées, de croquis frais et pittoresques en échappées oniriques… Car si la représentation dure un peu plus d'une heure, c'est un long monologue à connaître par cœur et que Julien Rochefort rend parfaitement vivant. Hugo ayant entretenu pendant ces deux mois d’absence une correspondance avec sa femme et ses quatre enfants en utilisant la poste restante, quelques-unes de ses lettres, tendres et très touchantes, se sont tout naturellement insérées dans le fil du récit.
Victor HUGO, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris, à l’âge de 83 ans. Il est considéré comme l'un des plus importants écrivains de langue française. Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a joué un rôle majeur dans l'histoire du XIXe siècle. En 1833, il rencontre la comédienne Juliette Drouet, qui devient sa maîtresse. Tous les ans, Hugo accomplit un séjour d'un mois dans une région française ou un pays d'Europe, en compagnie de son amante Juliette Drouet. De chacune de ses escapades il rapporte dessins, peintures et notes et envoie des courriers aux êtres chers : à sa femme Adèle, sa fille Léopoldine, ses amis Alfred de Vigny et Louis Boulanger. Après le voyage effectué en 1840 dans la vallée du Rhin avec Juliette Drouet, à 41 ans il décide de se rendre incognito dans le Sud-Ouest et en Espagne pour une nouvelle escapade amoureuse en sa compagnie. Surmené et aspirant à une diversion, il part en diligence le 18 juillet 1843 pour les Pyrénées et doit gagner Cauterets pour suivre une cure thermale. Le 20 juillet, après 36 heures de diligence, il atteint Bordeaux où commence son journal de voyage, puis se dirige à Bayonne. Il visite Biarritz qui commence à être à la mode. Le 28 juillet, il est à Saint-Sébastien qu’il quitte le 2 août pour s’installer une semaine à Pasages, entre mer et montagne. Par Hernani et Tolosa, il gagne Pampelune. Franchissant à nouveau la frontière française, il revient à Bayonne. De là, il se rend à Pau puis s’installe pour une quinzaine de jours à Cauterets dans les Hautes-Pyrénées pour y prendre les eaux et y vivre des amours secrètes. Comme tout curiste, il fait quelques excursions et flâne dans les environs de Cauterets, au lac de Gaube, sur les bords du gave du Marcadau, puis à Gavarnie, à Luz-Saint-Sauveur ... En chemin, prenant des notes, voici ce qu’il écrit sur chacune de ses visites et excursions dans les hautes vallées de Cauterets et du pays Toy. D’abord cette lettre adressée à Louis Boulanger sur Cauterets. « Je vous écris, cher Louis, avec les plus mauvais yeux du monde. Vous écrire pourtant est une douce et vieille habitude que je ne veux pas perdre. Je ne veux pas laisser tomber une seule pierre de notre amitié. Voilà vingt ans bientôt que nous sommes frères, frères par le cœur, frères par la pensée. Nous voyons la création avec les mêmes yeux, nous voyons l’art avec le même esprit. Vous aimez Dante comme j’aime Raphaël. Nous avons traversé ensemble bien des jours de lutte et d’épreuve sans faiblir dans notre sympathie, sans reculer d’un pas dans notre dévouement. Restons donc jusqu’au dernier jour ce que nous avons été dès le premier. Ne changeons rien à ce qui a été si bon et si doux. À Paris, serrons-nous la main ; absents, écrivons-nous. J’ai besoin quand je suis loin de vous qu’une lettre vous aille dire quelque chose de ce que je vois, de ce que je pense, de ce que je sens. Cette fois elle sera plus courte, c’est-à-dire moins longue qu’à l’ordinaire. Mes yeux me forcent à ménager les vôtres. Ne vous plaignez pas, vous aurez moins de grimoire et autant d’amitié. Je viens de la mer et je suis dans la montagne. Ce n’est, pour ainsi dire, pas changer d’émotion. Les montagnes et la mer parlent au même côté de l’esprit. Si vous étiez ici (je ne puis m’empêcher de faire constamment ce rêve), quelle vie charmante nous mènerions ensemble ! quels tableaux vous remporteriez dans votre pensée pour les rendre ensuite à l’art plus beaux encore que la nature ne vous les aurait donnés ! Figurez-vous, Louis, que je me lève tous les jours à quatre heures du matin, et qu’à cette heure sombre et claire tout à la fois je m’en vais dans la montagne. Je marche le long d’un torrent, je m’enfonce dans une gorge la plus sauvage qu’il y ait, et, sous prétexte de me tremper dans de l’eau chaude et de boire du soufre, j’ai tous les jours un spectacle nouveau, inattendu et merveilleux. Hier, la nuit avait été pluvieuse, l’air était froid, les sapins mouillés étaient plus noirs qu’à l’ordinaire, les brumes montaient de toutes parts des ravins comme les fumées des fêlures d’une solfatare ; un bruit hideux et terrible sortait des ténèbres, en bas, dans le précipice, sous mes pieds ; c’était le cri de rage du torrent caché par le brouillard. Je ne sais quoi de vague, de surnaturel et d’impossible se mêlait au paysage ; tout était ténébreux et comme pensif autour de moi ; les spectres immenses des montagnes m’apparaissaient par les trous des nuées comme à travers des linceuls déchirés. Le crépuscule n’éclairait rien ; seulement, par une crevasse au-dessus de ma tête, j’apercevais au loin dans l’infini un coin du ciel bleu, pâle, glacé, lugubre et éclatant ; tout ce que je distinguais de la terre, rochers, forêts, prairies, glaciers, se mouvait pêle-mêle dans les vapeurs et semblait fuir, emporté par le vent à travers l’espace dans un gigantesque réseau de nuages. Ce matin, la nuit avait été sereine. Le ciel était étoilé ; mais quel ciel et quelles étoiles ! vous savez, cette fraîcheur, cette grâce, cette transparence mélancolique et inexprimable du matin, les étoiles claires sur le ciel blanc, une voûte de cristal semée de diamants. À cette voûte lumineuse s’appuyaient de toutes parts les énormes montagnes, noires, velues, difformes. Celles de l’orient découpaient à leur sommet sur le plus vif de l’aube leurs sapins qui ressemblaient à ces feuilles dont les pucerons ne laissent que les fibres et font une dentelle. Celles de l’occident, noires à leur base et dans presque toute leur hauteur, avaient à leur cime une clarté rose. Pas un nuage, pas une vapeur. Une vie obscure et charmante animait le flanc ténébreux des montagnes ; on y distinguait l’herbe, les fleurs, les pierres, les bruyères, dans une sorte de fourmillement doux et joyeux. Le bruit du gave n’avait plus rien d’horrible ; c’était un grand murmure mêlé à ce grand silence. Aucune pensée triste, aucune anxiété ne sortait de cet ensemble plein d’harmonie. Toute la vallée était comme une urne immense où le ciel, pendant les heures sacrées de l’aube, versait la paix des sphères et le rayonnement des constellations. Il me semble, mon ami, que ces choses-là sont plus que des paysages. C’est la nature entrevue à de certains moments mystérieux où tout semble rêver, j’ai presque dit penser, où l’arbre, le rocher, le nuage et le buisson vivent plus visiblement qu’à d’autres heures et semblent tressaillir du sourd battement de la vie universelle. Vision étrange et qui pour moi est bien près d’être une réalité, aux instants où les yeux de l’homme sont fermés, quelque chose d’inconnu apparaît dans la création. Ne le voyez-vous pas comme moi ? Ne dirait-on pas qu’aux moments du sommeil, quand la pensée cesse dans l’homme, elle commence dans la nature ? Est-ce que le calme est plus profond, le silence plus absolu, la solitude plus complète, et qu’alors le rêveur qui veille peut mieux saisir, dans ses détails subtils et merveilleux, le fait extraordinaire de la création ? ou bien y a-t-il en effet quelque révélation, quelque manifestation de la grande intelligence entrant en communication avec le grand tout, quelque attitude nouvelle de la nature ? La nature se sent-elle mieux à l’aise quand nous ne sommes pas là ? se déploie-t-elle plus librement ? Il est certain qu’en apparence du moins, il y a pour les objets que nous nommons inanimés une vie crépusculaire et une vie nocturne. Cette vie n’est peut-être que dans notre esprit ; les réalités sensibles se présentent à nous à de certaines heures sous un aspect inusité ; elles nous émeuvent ; il s’en fait un mirage au dedans de nous, et nous prenons les idées nouvelles qu’elles nous suggèrent pour une vie nouvelle qu’elles ont. Voilà les questions. Décidez. Quant à moi, je me borne à rêver. Je voue mon esprit à contempler le monde et à étudier le mystère. Je passe ma vie entre un point d’admiration et un point d’interrogation. » Cauterets, le 26 août 1843. « — La vallée est paisible, l’escarpement est silencieux. Le vent se tait. Tout à coup, à un coude de la montagne, le gave apparaît. C’est le bruit d’une mêlée, c’en est l’aspect. Les combattants hurlent de rage et l’on croit voir voler les projectiles. — On s’approche. — De larges entonnoirs forment de grandes cuves où l’eau saute et bout, couverte d’écume comme dans une marmite énorme chauffée à un feu qui ne s’éteint jamais. Des souches d’arbres monstrueuses, des racines hideuses, décharnées et difformes, roulent dans le torrent comme des carcasses d’hydres. — L’horrible est là partout. » Durant sa cure, sur son temps libre, Hugo se rend au Lac de Gaube, dont il écrit : « — Treize cents pieds. Notre vieille Notre-Dame s’y entasserait six fois sur elle-même avant que la haute balustrade de ses tours parvînt à la surface de l’eau. On y plongerait la grande pyramide, on poserait sur Chéops le Munster de Strasbourg et sur le Munster la flèche d’Anvers que c’est à peine si l’extrémité de la flèche d’Anvers surgirait au-dessus du lac comme la pointe du mât d’un vaisseau naufragé. Vallée très sauvage. Forêt de pins écrasée par une montagne écroulée. Arbres étêtés, arbres morts. Ici les années, les coups de tonnerre et les avalanches sont les seuls bûcherons. Le lac à 4 heures de l’après-midi — Une flaque d’eau la plus verte, la plus gracieuse, la plus jolie, la plus gaie, entourée de rochers hideux, mâchés, déformés, ruinés, terribles. Au fond, les neiges du Vignemale, la plus haute montagne française, font un immense Y renversé sur l’orient. Au bord, une transparence sous laquelle on voit les granits, mais qui s’enfonce rapidement. Les grandes ombres du rocher tombent sur l’escarpement occidental comme des ombres de créneaux. Au premier plan. — Une cabane où l’on boit du kirsch, une cage pleine de poules ; canards ; rocher qui fait une petite presqu’île. On y voit une espèce de tombeau en marbre blanc entouré d’une grille. Ce sont des anglais qui se sont noyés ici et dont voici l’épitaphe : " à la mémoire de William Henry Pattison, écuyer, avocat de Lincoln’s Inn, à Londres, et de Sarah Frences, son épouse, âgés l’un de 31 ans et l’autre de 26 ans, mariés depuis un mois seulement. Un accident affreux les enleva à leurs parents et à leurs amis inconsolables. Ils furent engloutis dans ce lac le 20 septembre 1832. Leurs restes transportés en Angleterre reposent à Wilham dans le comté d’Essex. " (En effet, les Pattison qui venaient de se marier (le 22 août) empruntèrent une barque le 20 septembre 1832. Malheureusement, l’embarcation chavira, emportant dans les flots le jeune couple — Ce monument fut détruit par les troupes d’occupation le jour du débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944, et de nos jours, plus rien ne rappelle la trace du monument Pattison, dont l’emplacement est indiqué par une croix). Eau glaciale. Qui y tombe y meurt. Depuis quatre-vingt-dix ans que le vieux pêcheur était là, il n’avait vu personne assez hardi pour s’y baigner. Il en coûte trois sous par personne pour entrer dans l’enclos du tombeau. J’y ai cueilli des cinéraires dans le granit en surplomb sur le lac. J’ai glissé et failli tomber dans l’eau. Cela eût fait une deuxième tombe. On eût pris six sous. » Hugo flâne aussi sur les bords du gave du Marcadau et note ce témoignage : « Immense éboulement. Les pierres éparses ont roulé jusque dans le gave. Elles ont encore tout le désordre de la chute. On les croirait tombées d’hier si elles n’étaient rongées de lichens. L’une d’elles, la plus grosse, est fendue par le milieu. Un pâtre rêve dans ces rochers au bruit de cette nature en tumulte. Les chèvres bêlent et pendent. Je prends une grosse sauterelle verte qui se laisse faire. Puis je la pose sur le rocher, elle reste à la place où je l’ai mise. Un lézard sort d’une fente. La sauterelle et le lézard se regardent. Le lézard s’approche. La sauterelle s’envole comme un oiseau et va tomber au loin dans les grandes herbes. Je passe le pont de bois au confluent des deux gaves du Marcadau et du Lutour. Une odeur de soufre sort du torrent. Ici il est effrayant. C’est un écroulement de neige liquide. Bruit furieux. Sur les côtés les fleurs croissent en foule ; de petits bras du torrent font sur de petits blocs des cascades microscopiques. Il y a de petits bassins tranquilles avec fond de cailloux qu’on dirait arrangés par un enfant pour son jardin. Un rayon de soleil passe à travers les nuages et fait de chaque goutte d’eau une étincelle. — Belles flaques vertes. Tous les verts. Vert-clair, vert-noir. Les granits et les marbres tachés de rose qu’on aperçoit à travers l’eau glauque veinée de lumière ressemblent à des agates gigantesques. Je suis sorti par un soleil ardent, et voici qu’un nuage gris et lourd envahit tout le ciel. Il va pleuvoir. Je me réfugie sous la porte des bains du pré. Une vieille femme qui tricote me voit entrer en grondant. Figure délabrée et hideuse misère ; visage en guenilles sous une cape en haillons. Voyant que je m’obstine à rester et que j’ai pris une chaise, elle se lève, se traîne appuyée sur deux bâtons vers un couloir obscur, et s’en va. — Je cueille dans une tente du mur extérieur une belle fleur jaune qui a la forme de la tulipe et l’odeur de l’abricot. L’orage approche. De larges et sonores gouttes de pluie tombent sur les arbres et les rochers. Un éclair. Coup de tonnerre. Un coup de tonnerre dans ces gorges n’est plus un coup de tonnerre ; c’est un coup de pistolet, mais un coup de pistolet monstrueux qui éclate dans la nuée, tombe sur le sommet le plus voisin, et rebondit de montagne en montagne avec un bruit sec, sinistre et formidable. — Voici qu’il pleut affreusement. Toute autre chose que la nuée et la pluie a disparu. C’est une sorte de nuit blafarde entrecoupée d’éclairs dans laquelle on n’entend plus que deux rugissements ; le torrent qui hurle sans cesse et le tonnerre qui gronde par instants. Je rêvais à ce double bruit, et je me disais : le torrent ressemble à la rage et le tonnerre à la colère. » Le 23 août 1843 à 3 heures. « — Après deux heures de montée, immense prairie avec deux ou trois pauvres cabanes dont les jardins ont quelque maigre salade et des enclos de marbre. À droite un torrent. Devant moi un énorme bloc de marbre blanc et une vieille souche desséchée. Autour de moi des montagnes magnifiques. Les rayons du soleil y découpent de larges scies de lumière et d’ombre. Petits lacs de neige près du ciel dans les anfractuosités. D’immenses glissements d’ardoises étincellent là-bas au soleil autrement que de l’eau, autrement que de la glace. C’est comme le dos d’un énorme dragon. Larges pans de sombre et de clair. Plans immenses et simples. Quatre montagnes emplissent l’horizon. Rien qu’une herbe courte et rare et quelques bruyères. Cela fait pourtant une gigantesque housse de verdure qui couvre les monts jusqu’à l’endroit où les cols se dressent. Le torrent coule à plat et presque paisible au fond du ravin. Aucun bruit. Aucune voix. Ciel bleu. Calme profond. Solitude absolue. Je n’ai rien vu encore de plus beau et de plus grand dans les Pyrénées. » Le 24 août 1843. « — Deux torrents forment l’Y. Sur cet Y un pont circulaire à triple articulation, en sapins jetés de rochers en rochers. Sur le premier gave quatre autres ponts aux quatre étages de la montagne formés de troncs d’arbres. Écroulement de rochers. Torrent d’eau sur un torrent de pierres. 1er pont. Sapins desséchés avec leurs branches brisées court pouvant servir de mâts de perroquet aux ours. Dans un de ces sapins qui est creux, on a fait du feu. C’est encore une assez large cheminée. Des lichens chevelus vivent sur ces squelettes. Végétation à plusieurs couches. Toutes les fleurs de la montagne. Eau verte et paisible dans une anse au-dessous de la chute avec des sapins morts qui pendent dessus. 2e pont. Deux murailles noires. La lumière s’accroche aux saillies et y fait de petites terrasses éclatantes couvertes d’herbes et de fleurs. L’eau est lumineuse, la lumière est mouillée. Entre les deux murs noirs, le gave blanc. Au fond une cascade à quatre étages. Arbres coupés par les bûcherons. Forêt. Monts immenses au-dessous. 3e pont. Autre cascade. Arc-en-ciel. La chute tombe sur un plateau, puis se rue dans le gouffre. J’y descends en me tenant aux racines des arbres jusque sur un rocher qui avance. Le pont est au-dessus de ma tête. Le rocher qui reçoit le rejaillissement de la chute est troué comme une éponge. Brume et pluie. Je remonte. Les branches pourries cassent aisément. » Puis Victor Hugo, succomba bien évidemment au charme de Gavarnie en pays Toy, dont il fit la renommée dans ses carnets et son poème inachevé « Dieu » en décrivant ainsi le cirque : « Lorsqu’on a passé le pont des Dourroucats et qu’on n’est plus qu’à un quart d’heure de Gèdre, deux montagnes s’écartent tout à coup et, de quelque façon que vous préoccupe l’approche de Gavarnie, vous découvrent une chose inattendue. Vous avez visité peut-être les Alpes, les Andes, les Cordillères ; vous avez depuis quelques semaines les Pyrénées sous les yeux ; quoi que vous ayez pu voir, ce que vous apercevez maintenant ne ressemble à rien de ce que vous avez rencontré ailleurs. Jusqu’ici vous avez vu des montagnes ; vous avez contemplé des excroissances de toutes formes, de toutes hauteurs ; vous avez exploré des croupes vertes, des pentes de gneiss, de marbre ou de schiste, des précipices, des sommets arrondis ou dentelés, des glaciers, des forêts de sapins mêlées à des nuages, des aiguilles de granit, des aiguilles de glace ; mais, je le répète, vous n’avez vu nulle part ce que vous voyez en ce moment à l’horizon. Au milieu des courbes capricieuses des montagnes hérissées d’angles obtus et d’angles aigus, apparaissent brusquement des lignes droites, simples, calmes, horizontales ou verticales, parallèles ou se coupant à angles droits, et combinées de telle sorte que de leur ensemble résulte la figure éclatante, réelle, pénétrée d’azur et de soleil, d’un objet impossible et extraordinaire. Est-ce une montagne ? Mais quelle montagne a-t-elle jamais présenté ces surfaces rectilignes, ces plans réguliers, ces parallélismes rigoureux, ces symétries étranges, cet aspect géométrique ? Est-ce une muraille ? Voici des tours en effet qui la contrebutent et l’appuient, voici des créneaux, voilà les corniches, les architraves, les assises et les pierres que le regard distingue et pourrait presque compter, voilà deux brèches taillées à vif et qui éveillent dans l’esprit des idées de sièges, de tranchées et d’assauts ; mais voilà aussi des neiges, de larges bandes de neige posées sur ces assises, sur ces créneaux, sur ces architraves et sur ces tours ; nous sommes au cœur de l’été et du midi ; ce sont donc des neiges éternelles ; or, quelle muraille, quelle architecture humaine s’est jamais élevée jusqu’au niveau effrayant des neiges éternelles ? Babel, l’effort du genre humain tout entier, s’est affaissée sur elle-même avant de l’avoir atteint. Qu’est-ce donc que cet objet inexplicable qui ne peut pas être une montagne et qui a la hauteur des montagnes, qui ne peut pas être une muraille et qui a la forme des murailles ? C’est une montagne et une muraille tout à la fois ; c’est l’édifice le plus mystérieux du plus mystérieux des architectes ; c’est le colosseum de la nature ; c’est Gavarnie. Représentez-vous cette silhouette magnifique telle qu’elle se révèle d’abord à une distance de trois lieues : une longue et sombre muraille dont toutes les saillies, toutes les rides sont marquées par des lignes de neige, dont toutes les plates-formes portent des glaciers. Vers le milieu, deux grosses tours ; l’une qui est au levant, carrée et tournant un de ses angles vers la France ; l’autre qui est au couchant, cannelée comme si c’était moins une tour qu’une gerbe de tourelles ; toutes deux couvertes de neige. À droite, deux profondes entailles, les brèches, qui découpent dans la muraille comme deux vases qu’emplissent les nuées ; enfin, toujours à droite et à l’extrémité occidentale, une sorte de rebord énorme plissé de mille gradins, qui offre à l’œil, dans des proportions monstrueuses, ce qu’on appellerait en architecture la coupe d’un amphithéâtre. Représentez-vous cela comme je le voyais : la muraille noire, les tours noires ; la neige éclatante, le ciel bleu ; une chose complète enfin, grande jusqu’à l’inouï, sereine jusqu’au sublime. C’est là une impression qui ne ressemble à aucune autre, si singulière et si puissante à la fois qu’elle efface tout le reste, et qu’on devient pour quelques instants, même quand cette vision magique a disparu dans un tournant du chemin, indifférent à tout ce qui n’est pas elle. Le paysage qui vous entoure est cependant admirable ; vous entrez dans une vallée où toutes les magnificences et toutes les grâces vous enveloppent. Des villages en deux étages, comme Tracy-le-Haut et Tracy-le-Bas, Gèdre-Dessus et Gèdre-Dessous, avec leurs pignons en escaliers et leur vieille église des Templiers, se pelotonnent et se déroulent sur le flanc de deux montagnes, le long d’un gave blanc d’écume, sous les touffes gaies et fantasques d’une végétation charmante. Tout cela est vif, ravissant, heureux, exquis ; c’est la Suisse et la Forêt-Noire qui se mêlent brusquement aux Pyrénées. Mille bruits joyeux vous arrivent comme les voix et les paroles de ce doux paysage, chants d’oiseaux, rires d’enfants, murmures du gave, frémissement des feuilles, souffles apaisés du vent. Vous ne voyez rien ; vous n’entendez rien ; à peine percevez-vous de ce gracieux ensemble quelque impression douteuse et confuse. L’apparition de Gavarnie est toujours devant vos yeux, et rayonne dans votre pensée comme ces horizons surnaturels qu’on voit quelquefois au fond des rêves. Le soir, en revenant de Gavarnie, moment admirable. De ma fenêtre : une grande montagne remplit la terre ; un grand nuage remplit le ciel. Entre le nuage et la montagne, une bande mince de ciel crépusculaire, clair, vif, limpide, et Jupiter étincelant, caillou d’or dans un ruisseau d’argent. Rien de plus mélancolique et de plus rassurant et de plus beau que ce petit point de lumière entre ces deux blocs de ténèbres. » Enfin, Victor Hugo ne manqua pas la visite de Luz-Saint-Sauveur et relata : « Luz, charmante vieille ville, — chose rare dans les Pyrénées françaises, — délicieusement située dans une profonde vallée triangulaire. Trois grands rayons de jour y entrent par les trois embrasures des trois montagnes. Quand les miquelets et les contrebandiers espagnols arrivaient d’Aragon par la brèche de Roland et par le noir et hideux sentier de Gavarnie, ils apercevaient tout à coup à l’extrémité de la gorge obscure une grande clarté, comme est la porte d’une cave à ceux qui sont dedans. Ils se hâtaient et trouvaient un gros bourg éclairé de soleil et vivant. Ce bourg, ils l’ont nommé Lumière, Luz. Le Château de Sainte-Marie. J’en ai fait quatre dessins. L’Église bâtie par les Templiers ; rare et curieuse ; forteresse autant qu’église ; enceinte crénelée, porte-donjon. J’ai tourné autour, entre l’église et le mur crénelé. Là est le cimetière, semé de grandes ardoises où des croix et des noms de montagnards creusés avec un clou s’effacent sous la pluie, la neige et les pieds des passants. Porte des cagots, dans le cimetière ; murée ; les goitreux étaient parias. Ils avaient leur porte. Basse, autant qu’on en peut juger par la ligne vague que les pierres qui la murent dessinent. Le bénitier extérieur est un charmant petit tombeau byzantin auquel adhèrent encore deux chapiteaux presque romains. On y cache la clef du cimetière, afin de faire payer les étrangers pour le voir. Car tout se paie. Inscription du tombeau ; illisible, effacée par le temps, rayée au couteau, couverte de poussière. On y distingue quelques mots espagnols. Aqui. Abris. Cependant les mots filla de... semblent indiquer le patois. J’ai à peu près déchiffré la dernière ligne, qui du reste n’a aucun sens : sub desera lo fe. Les corbeaux du mur extérieur de l’abside portent des dessins curieux et charmants. Le portail principal, qui représente Jésus entre les quatre animaux symboliques, est du plus beau roman ; ferme, robuste, puissant, sévère. Restes de peintures sur le mur figurant des mosaïques et des édifices. L’intérieur de l’église est une grange quelconque. Sous la voûte du portail de la tour d’entrée, peintures byzantines, restaurées et à demi blanchies à la chaux ; ont perdu beaucoup de leur caractère. Au haut de la voûte, le Christ, avec la couronne impériale. Au-dessous, les anges du jugement soufflant de leurs trompettes cette inscription : surgite mortvy-venyte-ad-judicium. Aux quatre coins, quelques vestiges des quatre évangélistes. Le bœuf, avec l’inscription sant-luc. L’aigle, avec sant… La moisissure a fait une nuée où le reste se perd. Le lion ailé, d’un beau style, avec l’inscription sant-marc. Dans l’ombre, une tête d’ange avec ce reste de légende : … cte mychael. » La cure à Cauterets terminée, Victor Hugo reprend le chemin du retour : Auch, Agen, Périgueux, Cognac, Saintes et Rochefort. Mais ce voyage aux Pyrénées aura une fin tragique : car c’est à Rochefort que, lisant un journal abandonné dans un café, il apprend la noyade quelques jours plus tôt à Villequier de sa fille adorée Léopoldine et de son mari. L'écrivain sera terriblement affecté par cette mort, qui lui inspirera plusieurs poèmes — Les Contemplations (1856) — notamment, « Demain, dès l'aube… ». À partir de cette date et jusqu'à son exil, Victor Hugo ne produira plus rien, ni théâtre, ni roman, ni poème. Et le journal de Voyage aux Pyrénées s’arrête (il ne sera édité que des années plus tard). La vie du poète, son inspiration ne seront plus les mêmes. Le Voyage aux Pyrénées (1843) a été écrit, au fur et à mesure, dans les lieux mêmes qu'il dépeint, mais sur des pages d'album que Hugo conservait par devers lui. Cette publication s’accompagne de croquis exécutés sur place qui complètent et éclairent le texte. Hugo enregistre ce qu’il voit, crayonne, note sur ces carnets quelques vers qui lui permettront au retour de ressusciter, en prose ou dans quelques poèmes, ses impressions de voyage. Il demande à Juliette de collaborer avec lui. Elle tient son journal de voyage. Ces pages apportent à la littérature pyrénéenne une contribution utile par ce qu’elles ont de vivant et de profondément humain. À sa parution à la fin du XIXe siècle, l'édition posthume du « Voyage vers les Pyrénées » suscite l'admiration et l'enthousiasme. Rédigé sans apprêt, comme un reportage, ce journal de voyage est aussi une chronique d'un voyage intérieur. De retour à Paris, Victor Hugo, après la catastrophe qui avait interrompu si douloureusement son voyage, ne trouva jamais le courage de reprendre et de terminer son récit, initialement destiné à être publié. Ce dernier le sera à titre posthume, en 1890, cinq ans après son décès, signe de la blessure vivace dans le cœur de Victor Hugo toute sa vie durant. C’est après le coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III), en 1851, que Victor Hugo sera contraint à l'exil. Déguisé, il gagnera Bruxelles en train. Mais son pamphlet Napoléon le Petit le rendra persona non grata en Belgique et l'obligera à quitter le continent... Hugo débarquera sur l'île de Jersey en août 1852. Le Voyage aux Pyrénées est un carnet de voyage, une pièce de commande pour laquelle il avait reçu une avance d’un éditeur, et pour lequel il décrivait, sur place, ce qui le frappait le plus. Atteignant Lourdes à bord de la diligence Dotézac, qui doit le mener à Cauterets pour prendre les eaux et soulager ses rhumatismes, il avait noté : « Lourdes. — Arrivée magique. Magnifique donjon du treizième siècle sur un rocher. Le gave d’un côté, la ville de l’autre. Au fond les montagnes, hautes, abruptes, coupées de tranchées profondes d’où montent les brumes, le vent, le bruit. À Lourdes commence la grande gorge des hautes Pyrénées qui s’épanouit à Vidalos, s’écarte et se divise en quatre ravins, et forme cette immense patte d’oie dont le centre est Argelès et dont les quatre ongles vont atteindre à l’occident Arbéost par la vallée d’Estrem de Salle et Aucun par le val d’Azun, au milieu Cauterets par le détroit de Pierrefitte, et au levant Barèges par le défilé de Luz. — La gorge de Lourdes à Argelès en est pour ainsi dire le manche. Comme le bras de cette main ouverte. Lourdes est la porte des Hautes-Pyrénées. En 1755 elle ressentit le contrecoup du tremblement de terre de Lisbonne. Le réseau central des Pyrénées était gardé au Moyen Âge. Chaque articulation des vallées avait son château qui apercevait les deux châteaux des deux vallées voisines, et correspondait avec eux par des feux. On en voit aujourd’hui les ruines qui ajoutent un immense intérêt au paysage ; rien de plus poignant que les ruines de l’homme mêlées aux ruines de la nature. Le donjon de Lourdes voyait les trois tourelles du château de Pau qui apercevait la tour carrée de Vidalos, laquelle pouvait communiquer par des signaux avec l’antique Castrum Emilianum bâti par les Romains et relevé par Charlemagne sur la colline de Saint-Savin, qui se rattachait à travers les montagnes à la forteresse féodale de Beaucens. Les signaux s’enfonçaient ainsi de tours en tours dans la vallée de Luz jusqu’au château Sainte-Marie, dans la vallée de Gavarnie jusqu’à la citadelle des Templiers. Les châtelains des Pyrénées comme les burgraves du Rhin s’avertissaient les uns les autres. En quelques heures les bailliages étaient sur pied, la montagne était en feu. Les paysans, chose remarquable et toute locale, ne haïssaient pas ces châteaux. Ils avaient le sentiment que ces forteresses, tout en les dominant, en les opprimant même, protégeaient la frontière. C’est le peuple des montagnes qui a donné à l’un de ces châteaux près du col d’Ossau le nom de Bon-Château qu’il garde encore : Castelloubon. » Tous ces lieux et ces endroits traversés furent pour Victor Hugo, qui disait s’appeler M. Go et portait un chapeau pour ne pas être reconnu, source d’inspiration mais aussi l’occasion de plonger dans son passé et de retrouver ses impressions d'enfance. Sylvie Blotnikas a adapté et mis en scène ce récit de voyage vers les Pyrénées que Julien Rochefort, fils de Jean Rochefort, délivre d’un souffle, en osmose avec le poète qu’il fait revivre. Pour la première fois, ce récit de voyage de Victor Hugo est adapté au théâtre. Le comédien Julien Rochefort livre de ce texte une interprétation pleine de douceur, de délicatesse, rehaussée par un subtil travail de lumière qui agit comme une évocation subliminale des paysages traversés. On se laisse aller avec délice à la lenteur du voyage en malle-poste, à cheval, à pied… Au fil de ce texte d’une beauté magistrale, empreint de profondeur philosophique mais aussi de distance comique, Hugo alterne évocations des petites gens, des horizons marins, de la montagne toujours, laissant vagabonder ses pensées, de croquis frais et pittoresques en échappées oniriques… Car si la représentation dure un peu plus d'une heure, c'est un long monologue à connaître par cœur et que Julien Rochefort rend parfaitement vivant. Hugo ayant entretenu pendant ces deux mois d’absence une correspondance avec sa femme et ses quatre enfants en utilisant la poste restante, quelques-unes de ses lettres, tendres et très touchantes, se sont tout naturellement insérées dans le fil du récit.